THEATRE LA BASTILLE 2013
TEXTE MUSIQUE ET MISE EN SCENE DE GERARD WATKINS
COLLABORATION ARTISTIQUE DE MAYA BOQUET
SCENOGRAPHIE DE MICHEL GUELDRY
LUMIERES DE CHRISTIAN PINAUD
SON DE FRANCOIS VATIN
MAQUILLAGES DE NATHY POLAK
ADMINISTRATION DE PRODUCTION DE SILVIA MAMMANO
DIFFUSION DE YANN RICHARD
AVEC
ANNE ALVARO
GAEL BARON
ANTOINE MATHIEU
FABIEN ORCIER
NATHALIE RICHARD
Production Perdita Ensemble
Avec le soutien de la DRAC Île-de-France – Ministère de la Culture etd e la Communication et l’aide à la commande de la SACD/SYNDEAC 2011.
Coproduction Hippodrome—Scène nationale de Douai, Théâtre de la Bastille – Paris, Théâtre Garonne—Toulouse, Théâtre 95—Scène conventionnée – Centre des écritures contemporaines de Cergy-Pontoise.
Avec l’aide à la production d’ARCADI, l’aide à la création de l’ADAMI et de la copie privée.
Avec l’aide au Compagnonnage du Ministère de la Culture
Avec le soutien de la Comédie de Reims—CDN, du théâtre de Nanterre Amandiers – CDN
Remerciements à Judith Martin et Ligne Directe, Fanny Chevalier, La Mousson d’été et Actoral.
Afficher l’interview du spectacle Lost (replay)
Sophie Courade et Gérard Watkins
Que raconte Lost (replay)?
Trois anges sont violemment expulsés du paradis, et se réveillent sur terre, dans le sous-sol d’un immeuble parisien. Ils sont traumatisés, dans un état de délabrement extrême. Leur chute a pour origine une violente querelle avec le Créateur, qui veut interrompre son expérience avec l’être humain, et la reprendre de zéro. Les anges déchus se demandent ce qu’ils vont faire, se venger, retourner là-haut se battre, se cacher, attendre que ça se passe.
Ensemble, ils tenteront de prouver, autant à eux-mêmes qu’au Créateur, que l’Humanité mérite encore son nom, en organisant une rencontre entre deux êtres esseulés. Sur le toit de l’immeuble, bien à vue du Créateur.
Pourquoi le titre « Lost (replay) »?
Lost veut dire perdu. Replay signifie rejouer. À l’origine du projet est le Paradise Lost de John Milton. Je m’en suis éloigné, radicalement, mais la fureur du poème de Milton est restée. Il ne s’agit pas d’une adaptation, mais d’un point de départ, la chute des Anges. J’ai enlevé le mot paradis parce que je ne voulais pas imposer le paradis comme point de départ de la chute. Une certaine ambiguïté rode quant à son origine. Il y a aussi la série américaine qui s’appelle Lost, et qui a pour point de départ la chute d’un avion.
Les séries américaines ont une puissance de narration autour du vide, maintenir en haleine coûte que coûte. Lost (replay) se joue de cette forme narrative.
Le paradis perdu a été un thème central de mes créations. Notre vie ressemble à une longue suite d’adieux, aux êtres aimés, aux amis, aux idéologies, aux questionnements métaphysiques. Notre époque nous propose une suite fictive de mise en scène d’adieux. En contrepartie, les propositions, les créations, sont rares. On nous précise ce qui finit, on ne nous révèle jamais ce qui commence. Cette succession de perte, que l’on imagine compenser par un résidu d’accumulations matérielles, débouche sur un sentiment de perdition, d’ennui. J’ai joué avec cette thématique pour produire des images, des sens, du verbe, du théâtre.Lost (replay), comme tes textes précédents, dégage une impression d’imagerie d’Epinal. L’image en cache une autre. On sait ce qu’on doit chercher, mais on ne sait pas où ni comment le trouver. Les images d’Epinal sont souvent des images diaboliques.
Ce ludisme, je le retrouve dans tes allers-retours entre la réalité et la fiction.
On dit que les auteurs écrivent de la fiction pour fuir la réalité.
J’ai eu l’impression en lisant Lost (replay) que, être auteur, c’était aussi fuir la fiction.
L’histoire du paradis perdu, il s’agit bien de l’histoire d’un Créateur, de sa création, et de la rébellion des anges. Quand tu parles de rejouer, j’ai l’impression qu’il y a une interaction entre toi qui écris, et celui qui a écrit l’histoire du monde qui va être récrite par des hommes.
Fuir est une belle définition pour l’humain. Elle a le mérite d’être honnête. La fiction est un acte qui vient de la terreur. Pourquoi met-on en branle un conte quand on a quelque chose à raconter, et pourquoi met-on ce conte immédiatement en abîme dès qu’on commence à le raconter ? Je ne connais pas de contes qui ne contiennent, du Misanthrope au Conte d’Hiver, leur propre mise en abîme. Mes textes précédents ont été obsédés par la fiction, par les mythes, par la volonté de les retravailler, les remodeler, les revitaliser, les remettre en abîme. Ici, je n’avais aucun a priori de départ sur ce qu’allait devenir cette fiction. Je savais juste intuitivement qu’elle allait donner lieu à une rencontre. L’homme se débat tellement contre des fictions qu’il ne lui reste que peu de place pour de véritables rencontres. Lost (replay) va donc converger vers cette lumière. C’est ce qui en fait mon texte le moins sombre. Pour cela, le terreau, les échanges préparatoires à la rencontre, sont inondés d’ambiguïté. C’est une forme de romantisme, je pense. Et, le diable est souvent décrit comme le premier personnage romantique.
Il y a un immense potentiel théâtral dans le fait de faire débarquer des anges déchus dans le monde d’aujourd’hui. Parce qu’ils nous ressemblent. Parce qu’ils ont perdu ce qu’ils avaient de plus cher.
Ma génération (j’ai 42 ans) a été élevée dans les derniers soubresauts (les plus violents certainement), de la Guerre Froide. Nous sommes devenus adultes avec la chute du mur de Berlin. Nous avons grandi avec un autre monde, parfois situé en mal, parfois en bien, mais radicalement différent du nôtre, grouillant derrière un rideau de fer. Depuis, le libéralisme a triomphé partout sous une vague forme de village global, et il nous reste à consommer un monde uniforme sans double, sans contraire. Notre nouveau double, le Sud, n’est que le terrible résultat de la voracité du nôtre, le Nord. Ce résultat a été atteint grâce à des fictions, (qu’on pourrait appeler fatalité libérale), qui nous ont été imposées.
Notre impossibilité aujourd’hui à digérer notre Histoire, notre tendance à la répéter, vient de ce que nous n’arrivons pas à nous défaire de ces fictions. Nous n’arrivons pas à les nommer comme telles. Quand je me débats avec des fictions, je me débats contre celles que j’invente, en même temps que je me débats avec celles qui m’ont été imposées. Il en résulte un mélange, dont la vibration propre est l’ambiguïté assumée. Cela a parfois été pris pour de la confusion. De mon point de vue, c’est une douloureuse clairvoyance, exprimée maladroitement. J’écris comme je joue, en assumant et en développant les maladresses, dans la mesure ou elles seules me paraissent honnêtes et ludiques ?
Et la création, puisqu’il en est question dans Lost. Tes textes précédents évoquent toujours un projet. Reste-t-il un espace pour sortir des fictions qui nous imposent la mort de nos idéologies, et redistribuer autrement, de créer autre chose, d’autre flux ? Ce qui semble être le projet de tes anges-diables ambigus, à travers le langage notamment.
Pour être tout à fait honnête, je ne pense pas que le temps de la durée d’une représentation soit suffisante pour imprimer une création qui puisse bouleverser à ce point. Mais puisqu’il s’agit ici de diable, d’orgueil, et de création, c’est la moindre des choses que d’inventer un monde d’écriture qui a son propre style et ses propres logiques. J’en reviens à cette rencontre sur le toit, offerte aux dieux.
C’est une proposition minimaliste, voire microscopique, mais c’est ce qui en fait son charme. Pour la première fois, ici, le projet évoqué n’est pas corrompu dès le départ. Ces anges sont vraiment désespérés, en colère, et font avec ce qu’ils sont, et ce qu’ils ont.
Le bien et le mal font partie de la Genèse et conditionnent beaucoup de fictions, que nous revivons, retraçons, depuis des temps immémoriaux.
J’ai l’impression que dans les histoires qu’on nous transmet, petits, en tout cas dans les religions monothéistes, des notions sont là pour servir nos sociétés. Une des notions qui revient sans cesse est la notion du bien et du mal.
Dans notre histoire récente, oui. Chez les Grecs, pas du tout. Le fantôme Abiku Nigérian, l’enfant pas né, qui cherche à naître dans ce monde et erre parmi les vivants – qui est en Afrique une métaphore de la démocratie – a autant de résonances en moi que les mythes occidentaux. Je m’identifie souvent à cet Abiku. J’ai parfois l’impression que je ne suis pas encore tout à fait né dans ce monde.
Le paradis de Lost prend en compte ce mélange. Puisque les anges, c’est-à-dire les morts, doivent préparer les vivants. Cette interaction me passionne. Je la trouve très théâtrale. Parfois on compare le monde que je décris à un cercueil ouvert dans deux cents ans, et là il y aurait des fantômes de notre époque dans un état d’invention. Il y aurait comme une mémoire un peu brumeuse et enfantine de nos vies de vivants. C’est le vieil adage Indien. La vie, on ne l’hérite pas de nos parents, on l’emprunte à nos enfants. On empreinte parfois une vision de nos vies à nos enfants. J’aime cette interaction. Elle est cohérente dans notre geste. Le Perdita Ensemble pratique le théâtre comme nous aimerions vivre. Parité, décors recyclables, égalité des salaires, dramaturgie contemporaine commune. Nous vivons chaque expérience comme une utopie.
Un des moteurs de Lost (replay) semble être les vecteurs de communications, quels qu’ils soient. F a des problèmes de branchements ADSL. Elle le ressent comme une persécution, une culpabilité. Elle parle au téléphone à un opérateur qui se trouve à Delhi. Cette personne a certainement appris le Français par l’Alliance Française. Cette conversation est surveillée par quelqu’un qui vit dans le même immeuble que F, qui en vérifie la syntaxe et la bienveillance. Cette nouvelle perversion du langage, dont la politesse et l’extension des formules sont amenées à générer du profit, autant dans la durée, (le contenant)) que dans le fond, (le contenu) est contrée par le langage des anges-démons.
Extraire les mots de leurs significations, veut dire les faire mourir pour les faire renaître. Les transformer en anges rebelles. Mais le danger aujourd’hui est réellement dans la perversion du langage par les politiques et les agences de com, qui pratiquent avec le langage une pure politique de terre brûlée. Ce concept est résolument moderne, parce que le langage appartient maintenant au commerce, et non plus aux êtres, (peut être encore moins au monde des arts et des lettres).
Dans La Tour, on m’a fait remarquer que l’homme ne devenait plus un produit mais un objet. Je préciserai un peu l’objet qu’il est devenu dans Lost (replay). L’objet, pour lequel il exerce le plus d’interaction et pour lequel il a le plus d’ambitions, est le téléphone portable. L’homme n’a pas cette fascination pour une chaise, ou une table, par exemple, alors qu’il en a beaucoup plus besoin. La seule bonne nouvelle, c’est que cela produit une telle impasse, que la technologie génère un tel ennui, que l’homme va éventuellement se rediriger vers l’autre. Et ne plus en être terrorisé. Il n’aura pas d’autre choix. Dieu merci, ce sera l’autre. Pas la quête spirituelle, comme disait Malraux. La quête spirituelle est juste l’aboutissement, ou l’extension, de l’impasse matérielle. Elle n’est pas son issue. Pourvu que ce Théâtre raconte ça.
Deleuze disait qu’il faut toujours, à la hauteur de son savoir ou de son ignorance, s’installer quelque part. Le vingtième siècle est particulièrement installé dans ces notions de savoir et d’ignorance. L’ambiguïté, une forme de complétude, ne semble pas y trouver sa place.
F, dans Lost (replay), est, Dieu merci, totalement athée, et ne crois jamais à l’origine divine des anges-démons. Ce sont, pour elle, des réfugiés de l’Est. Et, alors que la moitié de moi a verrouillé la réalité de leur paradis, l’autre s’est effectivement attelée à les décrire comme réfugiés de l’Est, d’une autre époque, où, matériellement parlant, la chaise et la table, et non le portable, étaient des éléments centraux de la création. Lost (replay) préserve du coup à la fois l’ambivalence de leurs actions, entre bien et mal, et aussi l’ambivalence de leurs origines. H, qui a manifestement remis son destin entre les mains de son analyste, va gober l’histoire du paradis avec une facilité surprenante. Ce sera très intéressant de voir ce que le spectateur choisit de croire ou non. Face à une idée de rupture annoncée de la continuité de l’Humanité, les anges déchus contre attaquent en mettant en scène une rencontre, et en remettant à nu le Verbe, en lui rendant sa véritable nature, écorchée, et mutilée. C’est l’ambiguïté du serpent. Opposant la parole au discours. Au commencement était le Verbe, à la fin le Verbe n’était plus.
Pour la première fois, tu sembles te confronter au théâtre d’intérieur. Dans tes premiers textes, la scène est constamment en mouvement, le monde y est représenté par un mode plus picaresque qu’épique. Plus proche du théâtre espagnol de l’Âge d’or, que de Beckett, on va dire. Puis dans La Tour, le monde s’engouffre dans un lieu unique, même si ce lieu est disproportionné et gigantesque, une tour de deux cents étages.
Dans Lost, c’est un immeuble parisien. Il y a donc un rétrécissement géographique. Il y a aussi moins de personnages.
Est-ce un mouvement vers un théâtre plus intime, plus réaliste ?
Lost (replay) est-il un texte plus réaliste que les autres simplement parce deux de ses protagonistes ont des emplois reconnaissables, vivent dans des appartements, avec des canapés, des douches, des platines vinyles, etc ? Le théâtre bourgeois n’a eu de cesse de se développer au chaud, avec du mobilier et des portes huilées. J’ai parfois l’impression d’y avoir fait débarquer des anges sales. Que ces anges sales sont l’incarnation des formes ouvertes que j’ai pu employer antérieurement, projetés dans un univers clos.
Je n’ai jamais étudié l’art, encore moins l’histoire du théâtre. Il y avait donc une forme de naïveté d’attaquer mes premiers textes avec une représentation globale du monde, alors que tous les mouvements du 20ème siècle tendent à prouver que ce n’est plus envisageable. Je n’ai jamais eu la prétention de tout comprendre, ni de tout résoudre, ni de donner de leçons, juste de vouloir augmenter l’intensité des contradictions que j’éprouve. Et d’inventer un monde qui la représente. À chacun sa naïveté. Je trouve la question « qu’est-ce que tu essayes de dire? » telle qu’elle est encore posée à des artistes, toute aussi naïve. Je n’ai rien contre la naïveté. Elle nous fait du bien partout ou on la croise. J’aime toujours avoir du monde sur un plateau. L’intime est une forme de colère. Et une colère toute seule n’est pas intéressante. Le théâtre que je recherche, ce sont plusieurs colères qui se rencontrent, et se cherchent.
On a l’impression qu’en gravissant les étages de cet immeuble, on va aller vers le réel, vers le sentiment, vers le désir. C’est le ressenti qui va prendre sa place, déjouer les différents modes de communications, libérer la parole qu’on essaye de calibrer, réorienter, aseptiser. En fait, c’est un serpent qui va nous la proposer, cette parole. Le serpent est dans nos imaginaires un être ambigu, qui mue, par son essence.
J’ai parfois l’impression que la seule réalité est le sentiment. Ce sentiment peut à un moment devenir tellement extrême qu’il va mener au désespoir et empêcher de vivre. C’est une analyse certainement un peu sommaire du travail des analystes. Ils tentent de tourner le patient vers la réalité pour rééquilibrer sa possibilité de vivre (seul) parmi les humains. Les anges déchus semblent enclins à réorienter l’Homme vers une communication plus profonde de ses sentiments.
Pour en revenir à mon rapport aux mythes fondateurs, j’ai joué, à 9 l’âge de 13 ans, le Serpent, que Jean-Claude Van Italie avait écrit pour le Living Theatre, oeuvre chorale qui relatait de la perte de l’innocence, de l’effondrement du rêve américain à travers le meurtre de Kennedy. Je pense que c’était la première fois que je me rendais compte de l’immense possibilité de revisiter les mythes pour relater le monde contemporain.
Il y a-t-il une morale à Lost (replay ) ?
Non. Clairement, non. Ni morale, ni parabole. Pourquoi, il en faut ?
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