THEATRE GERARD PHILIPPE – 1998
TEXTE ET MISE EN SCENE DE GERARD WATKINS
SCENOGRAPHIE ET LUMIERES DE DIDIER GIRARD
COSTUMES DE ELISA BIER
SON DE PHILIPPE WELSH
ADMINISTRATION DE PRODUCTION DE FABIENNE COULON
AVEC
HELENE ALEXANDRIDIS
GAEL BARON
MASSIMO BELLINI
MARIE DESGRANGES
CYRIL DUBREUIL
DIDIER GIRARD
PIERRE HIESSLER
ANA KARINA LOMBARDI
JEREMY OLER
FABIEN ORCIER
PASCAL VUILLEMOT
PHILIPPE WELSH
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Absolument. Pas. Dans tous les sens des termes. C’est du burlesque, à la limite du cauchemar. C’est de la terreur absolue qui provoque du burlesque. C’est une démarche assez hystérique. Historiquement, il faut resituer le texte dans son contexte post-millénaire. On allait passer à l’an deux mille, et tout le monde semblait terrorisé. Il y avait le bug, le Y2K, la naissance de Dolly, premier mouton cloné, en 1996, la vache folle, la comète Hale Bop, le suicide collectif à Los Angeles, tous ces gens qui avaient mis des baskets Nike pour rejoindre la comète plus vite et pour rendre hommage au chef de leur secte qui s’appelait Do. En se donnant la mort, ils disaent Do it ! Il y avait les attentats terroristes du Front de Liberation Animal, du Front de Liberation de la Terre, les sectes, Aum Shinrikyo;au Japon, le manifeste de Unabomber, la fascination médiatique pour les tueurs en séries, il y en avait vraiment pour toutes les bourses.Oui, il y avait toute cette peur du bug informatique, du crash boursier qui allait suivre, etc. et un an et demi après il y a eu les avions qui sont rentrés dans les tours jumelles ; C’était bien autre chose qui se tramait.
Absolument. Toutes ces peurs étaient des masques, des leurres, et c’est ça qui était intéressant à décrire. On s’aperçoit avec le temps que Suivez-Moi racontait ça. Les décideurs cherchaient à répondre à une terreur spirituelle par une autre. Derrière ces masques, le terrorisme allait basculer et devenir ce qu’il est aujourd’hui, comme une extension d’une guerre idéologique sous la forme d’une guerre des religions. En 1999, Ben Laden allait être mis sur la liste des dix hommes les plus recherchées après l’attentat de Nairobi en 98. Je crois qu’il y avait une prémonition de ça, dans cette quête d’un remplaçant pour le christ, dans la confection d’un texte biblique qui ne puisse souffrir qu’une seule interprétation, pour mettre fin aux guerres et aux religions dissidentes. Tout ça faisait de Suivez-Moi une farce hype et survoltée, mais il y a quelque chose que je n’ai pas réussi en la montant. Je me suis retrouvé piégé parce que c’était un texte beaucoup plus sombre qu’il n’en avait l’air. A vrai dire, il était sans appel. Je me suis aussi retrouvé piégé par un manque de temps, et je me bats depuis pour ça ne puisse plus m’arriver. J’aimerais beaucoup remonter ce texte en particulier, non parce qu’il est meilleur que les autres, mais il me semble qu’avec le temps, il a gagné en profondeur de thèmes. Et qu’il est aussi plus facile d’en rire aujourd’hui.Le cinéma expressionniste allemand, la science-fiction américaine des années 50, on est vraiment dans un climat d’entre deux guerres.
J’étais très fier du premier acte, qui se déroulait comme une suite de nouvelles futuristes. Il y avait aussi une nouvelle forme de narration qui débarquait dans le monde littéraire, le manga. Je voulais y assumer et y célébrer la culture populaire, autant dans ce qu’elle a de trash, que dans ce qu’elle communique à ses contemporains. Toute l’extraordinaire littérature fantastique d’anticipation du XX ème siècle est fondée sur une paranoïa, qui, de la peur du Rouge à la peur du Clone, à donné de purs chefs d’œuvres comme 1984 et « L’invasion des profanateurs de sépultures » Il y avait aussi un style en épigramme. Certaines répliques étaient vraiment conçues comme des épigrammes, un peu comme dans le théâtre de la restauration. J’ai toujours aimé Congreve et Dryden, leur dandysme acéré, leur érotisme de l’esprit. C’est très présent dans Suivez-Moi.
C’est une forme de provocation ?
Mais oui, c’est un texte terriblement arrogant, et déjanté, et fier de l’être Le monde était devenu fou, et je trouvais ça juste de lui rendre cette image. J’ai donné libre cours à une folie et, à aucun moment, je n’ai voulu la freiner. Le grenier était ouvert, et je ne n’y ai placé aucune limite. Je ne voulais que rien ne puisse ce dresser entre ma folie et la forme que j’écrivais. C’est, après La Capitale Secrète, une affirmation de la liberté et de la folie, une guerre menée de front au raisonnable. Je me souviens que je riais comme un maniac en l’écrivant. C’est preuve de santé que de pouvoir dire au monde qu’il est fou, et que ça va lui faire du bien. C’était aussi une époque assez cruelle, et j’ai fait appel à plusieurs formes de cruauté. Dans la nature du récit, comme dans la nature des personnages. J’y brûle des fourmis à la loupe.
Je trouve que cette époque-là ne méritait pas vraiment autre chose comme forme théâtrale qu’une farce burlesque. Les personnages sont particulièrement déjantés et ravagés, de Seymour à Dorothée au Finisseur au Docteur Humble.
L’humour, la farce burlesque, m’intéresse dans la mesure ou c’est une forme d’émotion, de pensée. Le récit était entièrement structuré par ça. C’est étrange comme cette forme d’émotion peut structurer, et formuler, du récit et du théâtre. C’est un vecteur que je freine d’habitude, là j’ai lâché prise, j’avoue.
Il y a une invention majeure de ce siècle qui fait rage et qui s’est déployée avec fureur et domination, et dont il est fortement question ici, c’est la télévision.
Oui. Mais c’est presque impossible de parler de télévision au théâtre. Ce n’est pas une combinaison heureuse du tout. Je préférais mettre en abîme l’usage et l’avenir du théâtre. Le Cabaret Nostalgic 90’s, de l’acte II, qui retraçait la guerre du golfe et l’épidémie de la vache folle, parquant le théâtre expérimental dans des clubs de strip-tease, les représentations virtuelles, l’émission de télévision, tout ça mettait en abîme le théâtre et sa manière de se confronter à l’histoire.
Tu parles d’acte. Ce qui me surprend, c’est que tu as écrit ça en actes.
Ce que j’aime dans les actes, c’est la durée. On connaît cette histoire que Shakespeare a dû fractionner ces textes en actes quand il est passé du Globe au théâtre d’intérieur, pour se garantir de meilleures recettes, et braver les interdictions de jouer en période de peste. L’acte correspondant à la nécessité de la durée de la bougie. J’aime cette notion d’incompressible, et j’ai toujours préféré ça à l’écriture fragmentaire.
Le traumatisme majeur de cette fin de siècle, pour beaucoup d’européens, a été la guerre en ex-Yougoslavie. De Sarah Kane, à Noren, à Kean. Il me semble que tu n’y fais jamais référence, alors qu’à la guerre du Golfe, tout le temps. Pourquoi ?
Absence. Commodité. J’étais absent de ma personne. Sarah Kane était présente de sa personne. (Ce qui ne veut pas nécessairement dire y être physiquement.) Anéantis est un chef d’œuvre absolu. Je ne vois pas ce que je peux ajouter. Je me suis comporté comme mes pairs à cette époque, c’est-à-dire comme un lâche. Je crois que j’ai trop honte de ça pour pouvoir mentionner ce sujet. Depuis plusieurs années, j’essaye d’écrire autour de la purification ethnique. La rafle du vel’d’hiv, la tragédie du Timor Orientale. J’ai du mal. Ça me paralyse. Ca m’effraie tellement. Je pense qu’on a plus affaire à l’homme qu’à un système. J’ai l’intuition qu’il faut la regarder du point de vue des bourreaux, que c’est ça qu’il faut affronter pour pouvoir vaincre, passer de l’autre côté de la nature profonde l’homme. Ça me fait peur. Je m’implique physiquement dans mes créations, donc ça me fait peur. Ce qui est arrivé à Kane me fait peur, évidemment. Ça viendra.
Tu dis souvent écrire autour, et pas écrire sur. C’est intentionnel ?
Oui. Je préfèrerais dire écrire dans mais c’est incompréhensible et grammaticalement faux. J’ai souvent à me battre avec la langue française.
Il y a un souffle d’humanité, peut-être le seul, qui arrive au milieu du spectacle et qui se fait tuer tout de suite, qui n’y trouve pas sa place, c’est le frère Vincent, (Vint Sans), l’artiste maudit.
Oui. On va le chercher dans sa caravane, alors qu’il ne demande rien à personne, et il se fait dézinguer par son frère. Je voulais qu’il y ait un rappel très furtif d’un monde encore humain et libre. C’est surtout la première entrée en matière d’une relation intime que j’allais entretenir dans Icône et dans La Tour avec des artistes plasticiens.
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